lundi 19 octobre 2009

Mr Sandman

Tout à commencé après l’accident d’Isa. Ou tout c’est fini. Selon le point de vue que l’on adopte.

J’avais rencontré Isa quelques temps avant de finir mes études de médecine. C’était dans une de ces soirées étudiantes où l’alcool et la musique coulent à flot. Il y avait un mone fou, pour la plupart très imbibé, et je dois reconnaitre que je n’étais pas très net moi non plus.
Elle était venu avec un type qui lui aussi faisait médecine. Je ne le connaissais pas, et d’ailleurs je n’aurais pas l’occasion de faire sa connaissance. Il l’avait laissée en plan pour aller vomir dans un coin, et n’avait pas refait surface de toute la soirée. Avec Marc, mon meilleur ami, nous l’avions vue, seule sur son fauteuil, devant un verre vide, attendant que son petit ami qui ne tenait pas l’alcool revienne. Il était plutôt inhabituel en pareil endroit de trouver une belle fille seule; Qui en plus n’avait rien à boire.
Pour la rejoindre nous avions traversé la salle bondée avec beaucoup de difficulté, le monde qui encombrait les lieux et l’alcool qui encombrait nos veines nous redant la tache plus qu’ardue. Avec beaucoup de delicatesse, chose etonnante pour deux gars saouls, à peine sorit de l’adolescence, nous lui avons demandé si nous pouvions nous asseoir à ses côtés. Elle nous avait répondu avec beaucoup d’humour. Je me souviens qu’elle avait dit que c’était préférable pour nous, qu’elle ne voulait pas nous voir nous écraser lamentablement sur le sol, et que de toute façon son cavalier ne risquait pas de revenir, il était parti dans un état d’ébriété encore plus avancé que le notre, ce qui n’était pas peu, elle doutait qu’il soit rendu à destination pour rendre, alors elle doutait qu’il puisse envisager le voyage retour. Nous nous sommes donc installés à sa table.
Marc resta avec nous un petit moment, mais il avait vu arriver sa copine du moment, je ne peux pas me souvenir de son nom, et à l’époque lui non plus, il y en avait trop qui se succédaient, et parfois plusieurs en même temps. Dans un effort quasi surhumain nous avons discuté un moment en forçant nos voix jusqu’à leur limite pour couvrir la musique tonitruante. Je me souviens que nous beaucoup avons rit. Pour ma part je crois que la lecture du journal officiel m’aurait plongé dans la même hilarité. Mais j’ai passé un très bon moment. Nous sommes restés comme ça jusque très tard, la salle était presque vide, la musique avait cessé. Quand nous nous sommes séparés le jour se levait. Sur le trottoir, devnat la boite, dnas les débris de la nuit, nous avons échangés nos adresses.

Quelques mois après je finnissais mes études et nous aménagions ensemble dans un petit appartement, tout juste assez grand pour nous. J’étais engagé régulièrement comme remplaçant dans uncabinet médical grâce aux relations de mon père. Isa commençait à faire des traductions pour une petite maison d’édition, différentes revue scientifiques et donnait quelques cours particuliers. Nous n’avions pas grand chose, mais comme dans la chanson nous étions heureux avec des riens.
Au bout de deux ans j’ai fini par être engagé comme associé dans le cabinet médical où je faisais jusqu’alors des remplacements. Nous avons déménagé dans un appartement plus spacieux, plus chic. Isa avait de plus en plus de travail, elle avait réussi à signer un contrat avec une maison d’édition d’importance. Tout allait pour le mieux. Je n’aurais pas r^vé meilleure vie. Comme tout était si parfait, je l’ai demandée en mariage.

Nous avons fait ça au début du mois de septembre, en Normandie, dans sa famille. Une grande cérémonie, plus de deux cent invités, le ban et l’arrière ban. Trois jour avant elle a voulu s’enfuir loin de tout ça, au Mexique, au Brésil, n’importe où mais loin, et j’ai été à deux doigts de la suivre dans sa folie. Où qu’elle veuille partir je l’aurais suivie, jusqu’au bout du monde s’il avait fallu.
Malgré ce caprice le jour dit elle était là, dans une magnifique robe, la même que celle que portait sa grand mère, avec quelques retouches bien entendu. Elle s’avançait vers l’autel, vers moi, au bras de son père. Les grandes orgues retentissaient dans l’église. Les tonnes de fleurs répandaient leur parfum suave et entetant. Je tremble encore en évoquant ce souvenir..
Nous avons passé deux semaines dans les îles pour notre voyage de nocés. C’est entre la Martinique et la Guadeloupe, sur un bateau que nous avions loué, par une belle nuit étoilée, sur le pont, que nous avons conçu Vincent. Même si ce n’est pas l’exacte vérité, ça nous plaisait de le penser.
Quand elle m’a annoncé qu’elle était enceinte j’ai pleuré. Avant de tomber dans les pommes. Où le contraire je ne sais plus. Deux jours après, juste à quelques mètres de chez nous un gamin s’est fait renversé par une voiture alors qu’il rentrait de l’école. A peu de temps de ça, on aviat retrouvé une fille morte, sur un terrain vague, une aiguille plantée dans le bras. Overdose. Elle n’avait pas seize ans. Ce sont deux des raisons qui ont poussés Isa à vouloir déménager.
Il lui était insuportable de savoir que l’on allait élever nos enfants dans un tel environement. Avant tous les malheurs, tous les morts que trainait derière elle la cité nous laissaient indifférents. Ils ne pouvaient pas toucher les gens que nous aimions. L’arrivée prochaine de notre enfant changeait tout.

J’ai commencé à chercher un cabinet à la campagne. Un ancien collègue de facultéde mon père prenait sa retraite, il vendait son cabinet et sa clientèle. Il habitait un petit village au bord de la mer, sur la Côté Atlantique, juste au desus de Bordeaux. J’ai sauté sur l’occasion. Nous avons utilisé nos économies. Nos parents nous ont aidés pour acheter une petite maison avec un grand jardin.
Le cabinet et la maison avaient besoin d’un serieux ravalement. Pendant tout l’hiver nous nous sommes transformés tous les deux en une véritable entreprise de travaux public. Le ventre d’Isa s’arrondisait en même temps que les travaux avançaient. Fin mai nous en avions fini, je recevais mon premier patient. Et Isa accouchait.

Ce ne fut pas facile de nous installer à la campagne. Nous étions deux citadins totalement inadaptés à ce genre de vie. Nous étions deux étrangers dans le village. Les gens nous regardaient de travers, nous ne faisions pas partie de leur monde. Nous étions deux pièces rapportés. Surtout je prenais la place du Dr. Martin. Il avait soigné les villageois pendant quarante ans, la plupart des habitants n’avaient connu que lui, il en avait fait naître certain. Je ne pouvais pas le remplacer du jour au lendemain. Il a fallut qu’ils m’apprivoisent. Au début ils ne venaient pas en masse, ils ne se déplaçaient que quand c’était absolument nécéssaire. De mon côté il a fallu que j’abandonne certaines des manies de la ville, que je m’adapte à leur façon d’agir, à leur façon de voir le docteur. Cela à pris du temps mais nous avons fini par nous entendre.
Nous nous sommes intégrés à la population. Ils nous font encore comprendre qu’on est pas vraiment du lieu,que comme nous n’avons pas usés nos fonds de culottes sur les bancs de l’école avec eux nous serons toujours des étrangers, mais au moins ils ne nous considèrent plus comme des intrus. Je me suis inscrit au club de foot. Isa fait partie du comité des parents d’élèves de l’école.
Les enfant s ont fait beaucoup pour notre intégration. Ils aiment bien voir des jeunes dans les villages. Pour la naissance de Sarah les pensionnaires de la maison de retraite ont fait travailler leurs aiguilles et nous ont offert une panière de layette, et les gars du club de foot m’ont saoulé au troquet le soir même.

Dix ans se sont écoulé paisiblement dans cette ambiance. Isa et moi avons vu grandir Vincent et Sarah loin des dangers de la ville. Ils peuvent sortir de l’école tranquillement sans craindre pour leur vie. Ils jouent dans les rues, et les terrains vague sont des terrains de foot, des champsde batailles sur lesquels ont ne voit jamais la moindre seringue perdue. Tout va tellement bien qu’un troisième bébé est en route. Un petit retardataire.
Isa revenait de Bordeaux, elle devait voir son gynécologue, et rencontrer le patron d’une nouvelle revue de je-ne-sais-quoi qui lui proposait un boulot. Une mote s’est couchée sous un camion, celui-ci s’est mis en travers de la route, et la voiture d’Isa l’a percuté de plein fouet.
Quand on m’a annoncé froidement la nouvelle au téléphone la terre s’est ouverte sous mes pieds. Pourtant ce ne sont pas les premiers jours qui ont été les plus durs.
Elle est tombé dans le coma. Elle avait plusieurs fractures sur l’ensemble du corps, un sérieux traumatisme cranien, et elle a perdu le bébé. J’ai envoyé les enfants chez mes parents, et j’ai passé trois jours entiers à son chevet. Dormant peu, mangeant à peine. C’est le chirurgien-chef, un ancien camarade de fac, qui m’a convaincu de rentrer chez moi. Tant qu’il ne se pasait rien je n’avais aucune raison de rester et me mettre dans un tel état. J’étais trop faible pour lui répondre, je lui ai obéi et je suis parti.
Je ne suis revenu que deux jours après. Elle avait ouvert les yeux. J’ai cru que c’était bon signe. Elle ne parlait pas encore, était incapable de bouger, mais j’ai pensé qu’elle était sur la bonne voie. Les médecins n’étaient pas aussi optimistes. Je connais les médecins, je savais qu’ils ne voulaient pas trop s’engager, ne pas me donner de faux espoirs.
Au bout de quelques semaines j’ai fini par reprendre mes consultations. Tout le monde prenait des nouvelles de ma femme, on m’invitait à diner, on compatissait. C’était agréable, j’ai pensé que jamais ça ne serait arrivé en ville. J’aurais pu rentrer seul chez moi, avec ma douleur. Là j’avais des gens amicaux et chaleureux pour me soutenir.
Au fil des semaines l’état de santé d’Isa ne s’améliorait pas. Les médecins étaient de plus en plus réservés quand à son sort. Moi j’y croyais encore. Elle gardait les yeux ouvert, je me raccrochais à ça. C’est tout ce qui me restait
C’est à partir de que tout est devenu plus dur. Les mois ont passés et rien d’autre. Isa en était toujours au même point. J’ai perdu pied en été. Les enfants passaient leurs vacances chez leurs grands parents en Normandie. J’allais trois fois par semaine à Bordeaux, sans compter les week-end quand je n’étaits pas de garde. A chaque fois en rentrant je descendais une bouteille de whisky, seul, dans le noir, en pleurant. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus, je me laissais glisser. Je n’ouvrais plus le cabinet, et quand je le faisais j’insultais les patients qui venaient me voir avec leurs petits bobos.
J’ai fini par m’envoyer une bouteille chaque soir, même quand n’allais pas voir Isa. Je ne me rasais plus. Les gens m’évitaient dans la rue. Au bistrot on ne me parlait plus. Un matin j’ai ouvert le cabinet et personne n’est venu. J’ai décidé de ne plus le faire.
A la fin de l’été j’étais une épave. Mes beaux parents n’ont pas voulu que je récupère les enfants. Je ne peux pas leur en vouloir.Mon père est venu me voir. Il m’a engueulé comme quand j’avais dix ans. J’ai ét incapable de lui répondre. Il est parti en claquant la porte. Il a cassé un carreau. Je n’ai pas pris la peine de le faire remplacer.
La dernière fois que je suis allé voir Isa, son médecins m’a dit que désormais il n’y avait plus d’espoir, que seules les machines la maintenait en vie. J’ai passé quelques heures avec elle, lui tenant la main sans rien dire. En sortant de la chambre j’ai demandé qu’on arrete tout.
En rentrant chez nous je ne suis regardé dans un miroir sans me reconnaitre. J’ai vomi tripes et boyaux. J’ai ouvert ma dernière bouteille. Je ne boirais plus une goutte après. J’étais épuisé, je n’avais qu’une envie: dormir.
Le marchand de sable vient de passer. Ce que j’ai pris avec mon bourbon devrais m’assurer un très, très long sommeil. J’espère que je vais faire de beaux rêves.

jeudi 15 octobre 2009

Town & Country

à l’herbe toujours plus verte...

24 mai.
Il faut vraiment que je quitte cette ville. Je ne supporte plus d’être réveillé à quatre heures tous les matins par le métro aérien, d’autant plus qu’il m’empêche de m’endormir aussi. Les voitures m’agressent, me polluent les poumons, j’ai du mal à respirer dès que j’ouvre la fenêtre, et j’évite de le faire pour que les pigeons ne viennent pas fienter sur le canapé. Cette ville est un enfer. C’est décidé je déménage.

2 septembre.
Ça y est c’est fait; Je me suis installé dans un petit village dans les Alpes. J’ai trouvé une charmante maison au milieu des bois. Cet endroit est formidable. J’ai l’impression de revivre. L’air est pur, je pense même que je vais en profiter pour arrêter de fumer. Je peux dormir le fenêtre ouverte. J’ai choisi de parfait petit coin de paradis. Le matin je suis réveillé par le soleil qui se glisse entre les persiennes. Je suis aux anges.

12 septembre.
Tous les matins je prend mon petit-déjeuner sous le grand chêne dans le jardin. Les odeur de la nature m’emplis les poumons et me met de bonne humeur pour toute la journée. Il y a un petit marché sur la place du village. J’y trouve des fruits et des légumes qui ont un goût incroyable, rien à voir avec ce que je pouvais trouver à Paris.

30 septembre.
L’arrière saison est magnifique. Je suis allé à la chasse aux champignons. Je vais me faire une omelette avec ce que j’ai trouvé cet après-midi. Le pharmacien m’a dit que je ne risquais rien. J’ai acheté des fruits pour faire des confitures. J’ai prévu de me faire un potager l’année prochaine.

4 octobre.
C’est dingue les couleurs qu’apporte l’automne. La nature flamboie. Malgré tout ce que l’on dit d’eux en ville je trouve que les chasseurs sont très sympathiques. Hier mon voisin m’a offert un lièvre. J’en ferais un civet pour ce week-end.

3 décembre.
J’habite dans un village fantôme. Pas un commerce ouvert l’après midi. Je suis obligé de faire mes courses au supermarché le samedi en rentrant du boulot. Rien que des fainéants.

19 décembre.
Il a neigé toute la nuit. J’ai du déblayer l’allée avec une vieille pelle que j’ai trouvée dans le garage. Avant de me rendre compte que la route n’avait pas été dégagée. Les services techniques ne viennent pas dans le coin avant le début officiel de l’hiver. Et c’est dans deux jours.

25 décembre.
Il a encore neigé cette nuit. Il neige pratiquement toutes les nuits. Je me suis levé à 6 heures du matin pour dégager l’allée et pouvoir sortir ma voiture afin d’aller fêter Noël chez mes parents. Après que j’ai fini le chasse neige est passé et j’ai du recommencer. J’ai des ampoules plein les mains.

10 janvier.
Les services techniques ont foutus ma voiture dans le fossé en déblayant la route; Je ne la rentrait plus pour ne pas avoir à me lever dès potron minet pour pelleter la neige devant le garage.

31 janvier.
La météo annonce 25 centimètres de neige pour demain. J’ai acheté une nouvelle pelle. J’ai cassé l’autre de rage ce matin quand le chasse neige est passé et m’a recouvert de cette putain de merde blanche et froide.

01 février.
Le connard de la météo s’est planté. Il est tombé 40 centimètres cette nuit. Le chasse neige m’a réveillé à 4 heures en déblayant la route. J’ai glissé sur une plaque de verglas. J’ai le bras cassé. Pourquoi ils ne salent pas cette route à la con.

20 février.
Je me suis encore vautré dans la neige ce matin. J’ai chopé la grippe. J’ai mal partout. Je n’arrive plus à marcher tellement je suis courbaturé. J’ai l’impression d’être ma grand-mère. Impossible d’allumer la cheminée pour me réchauffer, elle n’a pas été ramonée depuis une éternité.

20 mars.
Il ne neige plus depuis une semaine. Je ne peux pas aller travailler, ma voiture est en panne. Elle est complètement bouffée par le sel qu’ils foutent sur les routes.

30 mars.
Le printemps revient. Je suis allergique au pollen. Je viens de le découvrir. Je passe mes journée et mes nuits à éternuer. Je dépense une fortune en kleenex.

29 avril.
J’ai renversé un sanglier avec ma voiture. Je croyais que ces connards de chasseurs les avaient tous massacrés. C’est comme ces putain de piafs qui chantent dès le lever du soleil, qu’est ce qu’ils attendent pour lancer un plan d’extermination massive de ces nuisibles au lieu de ce bourrer la gueule.

13 mai.
J’ai fait le bilan. Une nouvelle voiture, deux heures de trajet chaque jours, une cure d’antidépresseurs, le toubib qui me coûte un max à chaque fois qu’il se déplace, sans compter que j’ai failli perdre mon job plusieurs fois, que je ne vois plus ma famille et que je n’ai plus de vie sociale. Il faut que je rentre à Paris.

31 mai.
Vive la pollution, le métro, les pigeons. Je n’ai pas été aussi bien depuis longtemps. J’ai même repris la cigarette. J’emmerde la campagne.

mardi 13 octobre 2009

Memento Mori

Ça fait mal. Je n’aurais jamais cru que ça faisait aussi mal. J’aurais du le deviner, un projectile de métal lancé à plusieurs centaines de kilomètres par heures rencontrant un bout de chair molle ça ne pouvais pas être comme une piqûre de moustique. Mais là je déguste un max.
Il y a d’abord une brûlure, et puis une douleur sourde, lancinante qui se répand peu à peu dans tout le corps. Je me tordrais de douleur si je n’étais pas cloué au sol, sur le goudron chaud et dur du trottoir et si je n’avais déjà perdu autant de sang.
Tu as fais un coussin avec ta veste, tu me l’as placé sous la tête. C’est gentil de t’occuper de moi, mais j’ai peur que ça ne serve à rien. Je sais que je ne m’en sortirais pas. Depuis que j’ai vu ce fou furieux, ce psychopathe sortir son flingue par la vitre de sa voiture, j’ai su que c’était l’heure, et si je suis encore vivant, si peu certes, c’est parce que je me suis levé avant qu’il ne me tire entre les deux yeux et que j’ai pris la balle dans le bide. Alors même le mouchoir que tu presse sur ma plaie n’est que cautère sur jambe de bois, regarde le il est déjà rouge de mon sang, imbibé, souillé, il ne retient rien. Il fuit, comme ma vie. Tu as beau appuyer dessus de toutes tes forces, jusqu’à m’en faire mal, tu ne changeras rien. Je nage, je me noie dans une mare de sang, une mini mer rouge.
Tu me parles, j’entends à peine ce que tu me dis. Je dois déjà être ailleurs. Je vois tes lèvres bouger, devine les sons. Juste un murmure. Tu veux me rassurer, me dire que les secours vont arriver, que tout ira bine, que je vais m’en sortir. Je voudrais te dire que c’est faux, mais tu poses un doigt sur ma bouche pour la clore. Comme dans les films, ne pas parler pour ne pas se fatiguer, garder des forces pour plus tard.
Il n’y aura pas de plus tard, c’est ça que je veux te dire. Alors pourquoi garder des forces, celles qu’il me reste encore je veux les utiliser, elle ne me serviront pas dans l’après, quel qu’il soit, il ne me feront pas un crédit, un à valoir pour ma prochaine vie. Je veux m’en servir m’en servir maintenant. Te dire que je suis content. Pas de mourir, qui pourrait l’être à trente ans à peine. J’ai toute ma vie devant moi, des tas de choses à faire, rencontrer la femme de ma vie, voir grandir mes enfants, vieillir sous un chêne entouré de mes petits enfants. Où pas. Je pourrais vieillir comme sur cette photo qu’il y a chez toi, ce vieillard assis à la terrasse d’un café, sirotant je ne sais quel alcool, clope au bec, seul, avec pour toute compagnie un vieux chien fidèle. Quel que soit l’avenir qui m’était promis j’aurais aimé le vivre.
Mais à tout prendre je suis content de mourir comme ça. Pas sur un trottoir, d’une balle tirée par un cinglé, balle perdue qu’il a fallu que je retrouve. C’est une mort idiote. Mais mourir au grand air, sous les arbres, avec les dernières lueurs du jour qui jouent à cache-cache avec les feuilles, mourir en entendant le chant des oiseaux, et une cloche qui sonne dans le clocher de l’église d’à côté, mourir dans le parfum lointain des fleurs, mourir au printemps, au mois de mai, un jour férié, comme une tradition familiale, mourir alors que le crépuscule gagne peu à peu la ville, m’enveloppe, et me rend la transition plus facile avec le noir complet qui m’attend. Ne pas mourir dans une chambre d’hôpital anonyme, blanche du sol au plafond, traversé par toutes sortes de tubes, entouré de machines qui contrôlent mon rythme cardiaque, m’aident à respirer, font bip-bip, avec le regard apitoyé des gens sur ma déchéance physique, leur regard apeuré de voir la mort de si près, l’image de leur propre finitude. Je sais trop ce que c’est. Je meurs dehors, dans les couleurs du printemps, et en bonne santé.
Tu n’as pas l’air de m’entendre? C’est sans doute parce que je ne parle pas. J’imagine que je suis encore capable de te parler, mais aucun son ne sort de ma bouche. Il parait que quand on meurt on revoit toue sa vie défiler devant ses yeux, comme dans un film. Je ne voit pas le film de ma vie. Je suis en train d’imaginer celui de ma mort. Peut être suis-je déjà mort, et que tout cela n’est qu’un rêve, un rêve post mortem. Pourtant je suis encore vivant, j’ai mal, je sens la douleur de ma plaie, j’ai sous les doigts la sensation du sang poisseux en train de coaguler. Alors peut être que je te parle vraiment, mais que tu ne veux pas m’entendre.
A quoi bon écouter les élucubrations d’un moitié mort, moitié conscient de ce qu’il dit, déjà pris dans un délire verbal sans queue ni tête. C’est ça que tu te dis. Et si j’avais justement maintenant des choses capitales à dire, je suis au seuil du connaître la vérité sur la plus grande question de l’humanité, qui y a-t-il après la vie? Et toi tu m’ignores, tu préfères appeler des secours qui ne viennent pas. Pourtant ils sont si près. Tu hurle dans le vide, personne autour de nous. Il n’y que toi et plus tout à fait moi. Plus tout à fait, mais encore un peu. J’ai besoin de quelqu’un qui m’écoute maintenant, même en faisant semblant.
Tu pleures. Je ne veux pas que tu pleures. Je n’aime pas voir les filles pleurer, surtout quand je suis responsable de leurs larmes, tu le sais. Je ne veux pas partir en te voyant pleurer, je ne t’ai jamais vue pleurer. Je t’ai vue triste, dure, en colère parfois, mais quand je me souviens de toi c’est souriant, riant, heureuse. Je ne supporterais pas de passer l’éternité en ayant pour dernier souvenir de toi celui de ton visage mouillé de larmes. Je te raconterais bien encore des bêtises, je te ferais bien rire encore une fois, desprogiens jusqu’au bout, plaisantant de ma mort, usant d’un humour noir, et rouge comme mon sang qui n’en finit pas de s’enfuir. Malheureusement je ne peux plus.
J’aimerais pouvoir essuyer tes larmes, mas mes bras refusent de bouger, ils pèsent une tonne chacun, le bon côté des choses c’est que je les sens encore. Ce qui n’est plus le cas pour mes jambes. Je meurs morceaux après morceaux. La mort remonte lentement, à mesure que le sang s’écoule. Pendant combien de temps va t-il couler? Combien de litres de sang ai-je en moi? Il fut un temps où je le savais, mais j’ai oublié. Je ne vais pas tarder à tout oublier. Et puis de toute façon qu’est-ce que ça changerait. Ça ne l’empêcherait pas de se répandre sur le trottoir, de s’écouler dans le caniveau. “Il y a en centre ville de l’eau coule le long des rues”. D’où est-ce que ça vient? Pourquoi est-ce que ça me revient maintenant? Je dois être en train de perdre la raison, de délirer.
J’ai l’impression de ne pas finir d’en finir. Combien de temps depuis le coup de feu? Combien de litres ai-je perdu? Ça pourrait être amusant de calculer ça. Sachant le diamètre du trou que j’ai au milieu du ventre, le débit moyen du sang dans les artères et les veines à ce niveau du corps, en combien de temps un homme de ma corpulence se videra-t-il de tout son sang? A partir de combien de litres plongera-t-il pour de bon? Dernière question combien de temps lui reste-t-il? Je suis désolé de ne pas te donner toutes les données, ça risque d’être plus difficile à calculer, tu devras te contenter d’une réponse approximative.
En fait tous les calculs te seront épargnés. C’est bientôt fini. Jen e sens presque plus rien. Je n’entend plus les oiseaux. Je ne vois plus que quelques ombres au dessus de moi. C’est maintenant qu’il me faudrait un peu plus de temps, j’ai tant de choses à die encore, avant de partir. Combien je suis heureux de t’avoir connu, de m’être senti vivant avant de mourir à côté de toi, de tous les souvenirs que j’ai grâce à toi. Et comme j’aimerais aussi ne rien dire, rester là dans un silence parfait, un silence qui ne serait pas gêné, qui n’était jamais gêné. “On en aura eu des silences et des fous rires, puis vint le temps de la dernière danse, c’était bien ce fut pire”. Encore des mots qui me viennent de je ne sais où. D’une chanson. C’est normal, tout fini par des chansons. Tu vois je suis encore capable de faire de l’humour.
Je suis fatigué. J’ai envie de fermer les yeux. Je sais que je ne les ouvrirais plus. C’est plus fort que moi. Il me faudrait juste quelques instants de plus pour te dire que si possible je ne veux pas que l’on pleure à mon enterrement, je ne veux pas de musique triste et solennelle, mais une musique que j’aime, Sinatra peut être, ou si c’est trop, le simple piano de Brad Meldhau, que je ne veux pas de cérémonie religieuse même si mes parents y tiennent, que je veux juste quelques personnes autour du trou, que même si je ne suis pas juif je veux que tu m’écrive un Kaddish, tu sais une prière pour les morts où à aucun moment il n’est question de la mort, je voudrais qu’elle parle du bon vieux temps, du temps des rires, de ce qui restera pour moi l’Age D’Or. Ce sera ma dernière volonté.
Je sens une larme couler sur ma joue. Je ne sais pas si elle est à moi ou à toi. Partageons la. Ce sera la dernière chose que je ressentirais. Je crois entendre une sirène, voir des gyrophares bleu. Je suis trop fatigué, j’ai perdu trop de sang, des litres, peut être pas les sept litres que l’on possède en moyenne, c’est bizarre que je m’en souvienne maintenant que je n’en ai plus besoin, juste à cet instant où plus rien n’a d’importance.
Tu t’es penchée au dessus de moi. Je devine que tu me parles. Mais c’est trop tard, je ne saurais jamais ce que tu as dit, je garderais juste le souvenir d’un visage ami, de quelques jours de bonheur, de longues soirées à parler de tout et de rien, surtout de rien. Je suis trop fatigué pour sourire. J’aurais tant aimé mourir en souriant. Dernière politesse face au désespoir. Je ferme les yeux. Je me sens glisser.
Et là je dors. Et là je...

dimanche 11 octobre 2009

Le Mariage de la Femme de ma Vie

à celle dont j’ai rêvées
...en vain



- Je ne sais pas si ça serait prudent de vous resservir, monsieur.
- On ne vous demande pas votre avis, remettez moi ça.
- Je crains monsieur que vous ne soyez déjà ivre.
- Et alors je ne suis pas le seul, c’est un mariage, nous sommes tous plus ou moins rond comme des queue de pelle, qu’est-ce que ça peut vous faire que je sois ivre.
- C’est à dire, monsieur, vous avez passé toute la soirée accroché au bar, et je me demandais si...
- Écoutez voilà ce qu’on va faire, je vais vous raconter une histoire, si elle vous plaît, si vous la trouvez triste à se saouler la gueule, vous me servez sans poser de questions, sinon, je m’en vais. D’accord, bon parfait. vous voyez la mariée. Remarquez ça serait dur de la rater, elle est belle comme le jour, même sa robe est magnifique, et pourtant ça peut tourner au grand n’importe quoi les robes de mariée de la robe de princesse de chez Disney, jusqu’à la meringue ridicule, mais là elle est parfaite. Vous voyez que je ne suis pas jaloux, et pourtant c’est moi qui devrait être à son bras en ce moment.
- Vraiment, monsieur?
- Arrêtez de m’appeler monsieur, ça me gonfle.

- Moi je voulais pas y aller. Par tradition personnelle depuis que j’avais retrouvé mon statut de célibataire je passais mes réveillons de al saint Sylvestre seul. Ce n’est pas parce que cette tradition ne remontait qu’à l’année précédente que je n’avais pas envie de la respecter. Mais voilà mon frère était inquiet de me voir me morfondre en cette période où il est obligatoire d’être heureux, il avait donc décidé de me sortir. Il avait pitié de moi, c’est une malédiction, je n’attire pas l’amour et l’affection, juste la pitié et la compassion.
J’avais mis en place un programme alléchant. Jugez en donc, une terrine de foie gras, une bouteille de Sauterie et pour me finir une bouteille de Veuve Cliquot. En accompagnement une sélection de films: Soupe aux Canards, Annie Hall, et peut être si je ne m’étais pas endormi sur la canapé To Be or Not To Be celui de Lubitch, pas la pale copie de Mel Brooks. Un traitement idéal contre le cafard, et pour passer une excellente soirée. Pour qu’elle raison aurais-je suivi mon frère?
Je n’ai aucune volonté, surtout quand on me promet un buffet sorti tout droit d’un des meilleur traiteur et du champagne à volonté. Alors je l’ai suivi, par faiblesse, par intérêt, par gourmandise. J’ai tiré un trait sur cette parfaite soirée dans mon petit appartement.
Je ne suis pas un aficionado de ce genre de soirée. en bon disciple de Brassens je pense donc que quand on est plus de quatre on est une bande de cons. Je ne suis pas un ours, enfin pas trop, disons que je rechigne à perdre mon temps avec des militants de droite bornés qui ne voient pas plus lon que leur sicav, leur MEDEF et leur petit confort personnel. Manque de pot la place en était pleine. J’aurais du m’en douter quand mon frère m’avait dit que c’était organisé par ses collègues.
Dans un grand appartement bourgeois, lambris doré, parqué ciré, lustre en cristal, évoluaient une foule en tenue de soirée. Je faisais tache dans mon jean, j’avais au moins eu la présence d’esprit d’enfiler un chemise à peu près correcte. Je tentais poussé par mon frère de me mêler aux groupes, mais les conversations couraient sur des sujet qui me passaient largement au dessus de la tête. Il était évident que nous n’avions pas les mêmes valeurs, les leurs étant surtout boursières. Quand ils évoquèrent leurs actions j’ai voulu faire une blague en disant que le seul portefeuille que je possédais ne m’avait coûté que 2€ , et que je l’avais acheté à un vendeur à la sauvette dans les rues. Ils ne m’ont même pas accordé un sourire.
Pas encore découragé je continuais à écouter leurs histoires sur leur petite vie, leurs enfant tous magnifique et destiné à des grandes choses, leurs prochaines vacances en Normandie ou à l’île de Ré. Rien que des choses qui me passionnent, je n’ai pas d’enfant, je ne pars jamais en vacances, et surtout pas en Normandie ni à lîle de Ré pour ne pas risquer de tomber sur eux.
Vu la façon dont je répondais à leurs questions je m’étonnais qu’ils ne me lynchent pas. Cela aurait eu de la gueule, moi me balançant au bout du corde accrochée au lustre en cristal. Je prenais un malin plaisir à en rajouter dans le côté asocial, emmerdeur de gauche pour tenter de les pousser à bout. Mais ils savent trop bien se comporter en société, ils ne m’auraient jamais envoyer un direct du droit dans ma face. Du moins tant qu’ils n’étaient pas trop imbibés. Quand ils auront tous un coup dans le nez ils sortiront dans blagues racistes, misogynes, tiendront des propos réac, insupportable; Et il n’hésiteront plus à en venir aux mains. De vrais cons mondains.
Enfin bref, petit à petit le vide se faisait autour de moi, les convives ayant compris au bout du compte que nous n’avions rien en commun, et ils se détournèrent poliment de moi pour reprendre avec d’autres invités tout aussi nuls qu’eux des propos sans intérêt, sans talent, sans âme.
Je me repliais stratégiquement sur le buffet, la seule raison pour que je resta étant la qualité du champagne, et le talent du traiteur. Je trouvais une chaise, une caisse de la Veuve la plus sympathique du monde, un plateau de petits fours, et je m’imbibais le cortex avec méthode et application. D’ici peu, complètement saoul, je prévoyais de prendre la tangente, mais en attendant je passais ma haine de l’humanité en général, et de la portion de cette dernière présente dans cette salle en particulier seul dans mon coin. J’attaquais ma troisième bouteille quand j’ai été illuminé.
Surgie de nulle part elle m’est apparue. Comment pouvait-elle être ici ce soir, alors que tout n’est que médiocrité, mesquinerie, laideur en ces lieux. Une rose sur un tas de fumier.
J’ai été sous le charme immédiatement. subjugué par tant de beauté, celle que l’on ne trouve que dans les toiles du Titien, ou de Botticelli. En un seul regard j’ai su que cette femme était la femme de ma vie. Vous savez la femme qui hante vos rêves, comment c’est déjà... je fais ce rêve d’une femme qui m’aime, et qui n’est pas tout à fait la même qu’avant. C’est en gros un truc comme ça.
Je savais à cet instant précis que j’avais trouvé celle auprès de qui ma haine de l’Homme s’appaiserait enfin. Celle qui soulagerait mes blessures, mes angoisses. Elle comprendrait ma douleur de vivre, la partagerait peut être. Elle consolerait ma tristesse quotidienne. Je pourrais san retenue aucune me laisser aller, impudique, elle m’écouterait patiemment sans penser à autre chose. Elle sourirais de mes doutes parce qu’elle les comprendrait. Elle serait mon havre de paix. Je pourrais partager avec elle mon amour pour les auteurs du début du siècle dernier, Guitry, Allais, Bernard, les bordeaux rouges, la trompette de Chet Baker, le piano de Bill Evans, le gratin dauphinois, les chansons de Brassens, les chroniques de Vialatte, les films de Allen, Truffaut, les textes de Desproges, Star Trek, et tout le reste. Elle aimerait tout cela sans réserve.
Il me fallait la rejoindre. Je la prendrais par la main et lui dirais: “Quittons ces gens avec qui nous n’avons rien à voir, oublions les, laissons les croupir dans leur insignifiance, un jour nouveau commence, une année nouvelle, elle est pour nous deux. Venez, je vous emmène dans un lieu où nous serons hors d’atteinte des chiens, des loups, des hommes et des imbéciles. N’ayez pas peur, je vous aime.”
Pour elle j’était prêt à abandonner ma Veuve essentielle, mon saumon irréfutable, mon foie malade, je parle de celui gras de l’oie que je dévorais, encore que le mien ne doit pas être très beau, je quitterais le confort de mon coin tranquille, ce noir qui encombre peu à peu mes pensées, ma famille, ma ville, mon pays, tout.
Je devais avant tout quitter ma chaise. Elle était à l’autre bout de la pièce. Il me fallait franchir l’océan immense pour la rejoindre, fendre le flot des convives, traverser une marée humaine. Moins d’une dizaine de mètre me séparaient du bonheur...

- Et alors?
- Et alors... Que croyez vous que j’ai pu faire. J’avais passé toute la soirée à picoler. Quand j’ai voulu la rejoindre je me suis lamentablement étalé par terre, sur le tapis persan, comme un con. Je me suis ridiculisé devant devant une bonne cinquantaine de personnes que je ne pouvais pas voir. Que croyez vous que j’ai fais après ça. Je me suis relevé difficilement et je suis parti vomir dans la rue. C’est mon frère qui se marie aujourd’hui.
- Vous voulez un autre verre?

mercredi 7 octobre 2009

Et un, et deux, et trois, et...

à ceux qui ne regardaient pas

-C’est pas compliqué, vous allez vite comprendre.
L’objet était incongru dans le décor. Des livres partout. Du sol au plafond. Des piles de livres recouvrant les meubles, remplaçant les meubles même. Incongrue une petite télé portable, posée là sur un tas de bouquins.

Sa vie, il l’avait vécue tout entière dans les livres. Professeur de français pendant 40 ans, il avait tenté et réussi, parfois, de donner l’amour des lettres à ses élèves. Vouant aux gémonies la télé, instrument de décébration de la population. Toute sa vie il l’avait bannie de son logis. Jusqu’à ce jour.
Ce n’était pas un jour comme les autres. Un jour destiné à devenir historique. C’était le 12 juillet 1998, l’équipe de France de football allait disputer la finale de la coupe du monde.
Pour être rat de bibliothèque, il n’en était pas moins sensible aux joutes sportives, et particulièrement au jeu de la balle au pied. Chacun a ses petites faiblesses, ses petits péchés mignon, ses gourmandises. Lui c’était le football, et le vin de Moselle.
Il avait dans le temps, tâté du crampon et du ballon. C’était il y bien longtemps, il avait raccroché depuis des année son maillot au porte manteau, et se contentait de suivre à la radio et dans les journaux les résultats des matches du championnat, des coupes diverses et variées, des tournois de plus en plus nombreux.
C’est ainsi que pendant tout un mois, l’oreille collée à son poste à transistor, il avait vibré aux exploits de l’équipe tricolore black, blanc, beur, comme ne manquaient pas de la qualifier les journalistes jamais à court de lieu commun et de clichés éculés.
Chaque matin il allait au kiosque acheter Le Monde, et L’Equipe et discourais avec les habitants du quartier des fortunes diverses des formations nationales en lice dans la joute sportive mondiale, voire mondialisante. Tout le monde écoutait avec attention les analyses du professeur, accordant à ses avis tout le crédit que leur conférait son titre ronflant. Il était tout autant respecté pour son savoir livresque, ses connaissances bibliographiques, que pour son érudition footbalistique. Le professeur était une figure du quartier, pour tous, jeunes et vieux.
Alors quand vint le jour de gloire, ce dimanche là, au kiosque de ses habitudes, la fièvre s’était déjà emparée de la foule, restreinte certes par les premier départ en vacance, quand il apparut. Ponctuel comme à son habitude, baguette sous le bras, petit gâteaux et bouteille de vin de Moselle pour son repas dominical dans son panier. Il fut accueilli avec gentillesse par tout ceux présent et la discussion s’engagea sur le sujet principal, sujet unique en fait, la finale.
Chacun y allait de son pronostic. Pessimistes s’engueulant avec optimistes. On critiquait les joueurs, l'entraîneur. On échafaudait des stratégies pour vaincre l’ennemi. On se voyait déjà en haut de l’affiche du football mondial, remerciant Dieu et les joueurs du bonheur d’être champion.
Puis on demanda à chacun où il irait pour voir le match du siècle. Tranquille chez soi, ou dans un lieu public mêlé à la foule en délire, peut-être au Stade-De-France pour les plus chanceux. Le professeur dit que comme à son habitude il écouterait tout cela à la radio. ce fut un concert de protestation. Il était impensable que l’on puisse se contenter du son et se priver de l’image, un tel événement ne se reproduirait pas de sitôt. C’était tout aussi important que le premier pas de l’homme sur la Lune. Ce serait sacrilège de ne pas suivre le match à la télé.
On lui proposa le café du coin. Il refusa, trop bruyant à son goût. On lui proposa de l’accueillir. Il refusa encore, il ne voulait pas déranger. Enfin le fils de sa concierge trouva la solution idéale. Il allait lui prêter sa télé, il n’en aurait pas besoin, il serait avec ses copains au café. Le professeur refusa, jamais la télé n’était rentrée chez lui, ce serait une trahison de ses convictions. On lui répliqua que dans des cas extrêmes, dans des situations de cette importance on pouvait faire exceptions à la règle, la télé repartirait chez elle dès le lendemain, il n’y aurait aucun risque. Il était tenté par l’idée, et se laissa convaincre au bout du compte.
C’est ainsi que l’objet de son ressentiment pénétra dans son antre. Les tenants des lieux en furent tout étonnés. De mémoire de livre on avait jamais vu un instrument aussi étrange. Ils s’interrogèrent sur son usage, et sur les risques qu’ils couraient, eux les chouchou du maître de maison, avec l’intrusion de l’étranger. Ils tentèrent de le repousser, occupant chaque centimètre carré de l’espace, investissants les meubles, débordant sur le sol, ne laissant aucune aire d’atterrissage pour le visiteur. Peine perdue. Ne trouvant nul lieu vierge de la présence des livres, et ne voulant rien bousculer dans l’ordre de son désordre, on posa le cube mystérieux sur une pile d’ouvrage. Outrage suprême pour les seigneurs du château.
- C’est pas compliqué, vous allez vite comprendre, il suffit d’appuyer sur ce bouton pour allumer, pour baisser ou monter le son c’est celui ci, et pour éteindre c’est là, pour zapper, changer les chaînes quoi, vous choisissez le numéro sur la télécommande , vous avez compris.
Il avait compris, il ne fallait pas le prendre pour un débile parce qu’il avait résisté jusqu’à présent à l’invasion du tube cathodique. Tout cela était parfaitement simple, enfantin. De toute façon il lui suffisait de savoir allumer et éteindre, il n’avait pas l’intention de passer la journée à zapper comme il disait. Juste voir ce match, et puis après... adieu.
Il n’était pas réellement réfractaire aux progrès, aux innovations techniques de son siècle, mais il avait du mal à s’y faire, à suivre la marche du temps. Il gardait depuis des années son vieux téléphone en bakélite noire, un modèle antique, massif, à la sonnerie stridente au cadran d’un autre temps, alors que les portables envahissaient les rues. Et puis la télé ce n’était pas la même chose, à quoi bon en posséder une, il y avait la radio et les journaux pour se tenir au courant des informations, pour les images il y avait le cinéma, et puis rien ne remplacerait un bon livre. Il s’était souvent disputé avec sa femme à ce sujet. Elle lui reprochait d’être un vieux con réactionnaire, un fou à mettre au musée avec les antiquités. Elle devait bien rire aujourd’hui, si elle voyait le poste, posé au milieu du salon.
Il dîna rapidement et s’installa dans son fauteuil à l’heure dite. Comme on lui avait expliqué il appuya sur le bouton, et l’image se fit dans le poste. Après quelques minutes il coupa le son. Il ne supportait pas les commentaires débiles du journaliste. Il regarderait justes les images. Pendant un moment il pensa à allumer la radio, mais il pensa que cela risquerait de faire trop, les journalistes de la radio décrivaient toutes les actions, il n’en avait pas besoin, il voyait tout en détail.
Zidane marqua une première fois. De la rue monta une exclamation. Il entendit des chaises se renverser dans l’appartement du dessus. Il resta calme, rien n’était fait il restait encore beaucoup à jouer.
Zidane marqua une deuxième fois. La rue explosa encore, l’immeuble retenti d’un cri. Les chaises de l’appartement du dessus devaient être définitivement brisées. Il sentit monter l’excitation. deux buts c’était une bonne avance mais il ne fallait pas se relâcher. Deux buts c’était une bonne avance mais il ne fallait pas se relâcher.
A la pause il alla voir à la fenêtre. Les gens riaient, se congratulaient, on lui fit signe, il les salua. Le match repris.
Petit marqua une troisième fois. Cris de joie et hurlements de bonheur emplirent l’espace, les murs tremblèrent, les livres tombèrent de leur étagères. Il se leva d’un coup, emporté par le mouvement de victoire de la France entière.
L’image du poste de télévision se fit floue. Les murs se mirent à tanguer et à tourner; Ses jambes faiblirent. Il voulu se raccrocher à quelque chose, son fauteuil, une table. Il ne trouva rien. Il s’effondra sur le tapis, au milieu de ses livres. Le poste marchait toujours sans le son. Il ne put entendre avant de partir le commentateur avoir cette phrase définitive:
- Après avoir vu ça on peut mourir tranquille.











lundi 5 octobre 2009

Introduction

à moi

Encore une fois c’est la première phrase qui se fait attendre. C’est toujours elle qui pose problème.
Toutes les autres sont prêtes à partir, en rang serré, en ordre de bataille. Elles piètinent d’impatience, mais elles ne peuvent rie nfaire sans l’ouverture, sans les premiers mots.

Au commencement il y a le sujet, le maître, le grand ordonnateur. N’importe lequel, tout est bon pour initier le processus: la victoire de l’équipe de France de football, l’élection rocambolesque du président des USA, une jeune femme sublime entrevue dans un rêve, un bistrot que l’on détruit pour faire passer une route, un souvenir d’enfance, un info lue ou entendue, l’idée bizarre d’imaginer une mort violente, un 1° mai étrange, tout et n’importe quoi.
Une fois choisi, le sujet s’installe, jette un regard alentour, et lance son appel. Il veut exister ailleurs que dans un coin du cerveau, et pour cella il lui faut des idées. Il sait qu’elles sont là, tapie dans l’ombre, attedant d’êtres pretes pour prendre leur place dans le jeu.
Les premieres à sortir sont les idées passe-partout, les idés reçues, les idées toutes faites. Elles n’ont peur de rien, elles sont les éclaireuses, elles déblayent le terrain. Elles ne se font pas d’illusions, beaucoup ne résisteront pas à la première sélection, elles seront balayées sans regret, sans pitié. Qu’importe, c’est leur rôle, si elles ne s’étaient pas sacrifiés pour la cause les autres ne seraient jamais sorties.
Toutes les idées ne peuvent pas servir n’importe quel sujet. Certaines ont besoin de sujet noble, se sont les grandes idées, les idées universelles, elles ont une dignité, une place à tenir, une réputation à défendre. Elles ne sortiront pas cette fois ci, ce n’est pas leur terrain.
Les idées plus originales, les audacieuse, plus drôle, plus forte avancent doucement, par timidité, par peur. Elles ont un petit quelque chose de différent qui peut effrayer le sujet. Mais quand il est séduit, c’est gagné, il ne lachera pas le morceau, il s’accroche à elles, il a trouvé son complètement indispensable.
A partir du moment où le couple est formé le processus est pret à s’engager. Enfin presque. Tant que la fin, la chute n’est pas prête rien ne se passe.
Parce qu’au début il n’y a pas de fin. La fin est tout. La chute conduit l’affaire. Sans fin personne ne sait où aller. Trop risqué. Les differentes pistes se mélangeraient dans une belle anarchie. Il faut un but pour pouvoir tout organiser. Les phrases se bousculent, se contredisent, s’annulent. La fin doit mettre de l’ordre dans tout ça. Elle arrive par petit bout, en reculant, elle sait son importance, elle ne veut pas tout gâcher en se trompant. Elle est modeste, elle accepte d’être refusée, transformée, retaillée. Elle laisse volontairement sa place à une autre. Qui subira le même sort. Jusqu’à ce qu’enfin, la Fin s’impose, évidente, irréfutable.
C’est alors que les phrases arrivent, dans le plus grand désordre. Dès que l’esprit se laisse aller, en attendant un bus, avant de sombrer dans le sommeil, en allant travailler. Elles s’accumulent, se croisent, disparaissent, se déforement, se reforment. Le vrai travail va enfin pouvoir commencer. Un fois le premier tri fait, les phrases se présentent les unes après les autres pour former le premier jet. Certaines sortent sans surcharge pondérale, équilibrés, efficaces. D’autres manquent de corps, d’ampleur, de force. Il faudra alors reprendre tout ça, arranger, peaufiner, eliminer. Le corps du texte se construit peu à peu.
Il manque pourtant l’ouverture, cette phrase qui doit accrocher, d’entrée de jeu. Elle ne vient pas. Elle n’est jamais bonne. Jamais comme il faudrait. Elle bloque. Tout le reste est prêt. Toutes les autres phrases sont en place. Elles se foutent de cette première phrase qui fout le bordel, qui compromet leur existence. Alors lassé d’attendre une sort en désespoir de cause. N’importe laquelle, banale, boiteuse, bateau. Il était une fois, pourquoi pas, ça à déjà fait ses preuves. Elle est rejeté impitoyablement, comme tant d’autres qui ne sont pas assez ceci, trop cela.
Pourquoi faut-il que ce soit cette première phrase qui pose toujours problème? Pourquoi cette incapacité à faire le premier pas? Pourquoi, alors que tout le reste est en place, faut-il qu’il soit impossible de mettre un point final en écrivant ces premiers mots?
Après s’être fait désirer si longtemps elle arrive enfin, elle fait sa belle, sait l’importance qu’elle à. Surtout ne pas la vexer, lui laisser prendre sa place, tout en haut, bien en vue.

Ça commencerait comme ça...

751289

à ceux qui n’ont jamais pu raconter

J’avais cinq ans quand je l’ai vue pour la première fois. Par une belle journée d’été. Je jouais avec mon grand père dans le jardin, dans l’insouciance de la petite enfance. Et puis elle est apparue. Une marque étrange, un signe incongru sur le bras de mon grand père. Quelques chiffres sur la peau parcheminée du vieil homme. Il baissa rapidement la manche de sa chemise, espérant que je n’ai rien vu. Je l’ai vue pourtant, juste un instant, suffisamment pour que je demande:
- qu’est ce que c’est ça papy?
In ne répond pas, il est gêné, sourit timidement, me passe se main dans mes cheveux, me décoiffe, et change de sujet; J’oublie, la journée est trop belle, je suis trop jeune.

J’avais neuf ans. Tout juste. Le jour de mon anniversaire. La sortie de l’hiver. La famille dans un bel ensemble autour du gâteau et des bougies. Au milieu des cadeaux, des rires, des jeux mon grand père a eu un malaise. Il s’effondre sur le canapé. Mon père se précipite sur le téléphone, appelle le docteur. Il arrive, sort son stéthoscope, son appareil à tension, retrousse la manche de mon grand père. Elle est toujours là, tout aussi énigmatique. Je m’approche. Je veux la toucher. Mon père écarte ma main sans me regarder. Je regarde tout le monde s’affaire. Une ambulance arrive. On transporte mon grand père. La fête est finie. Je n’ai toujours pas eu de réponse.

J’avais onze ans. Mon oncle se mariait. Les portes de l’automne. Les gens sont heureux du bonheur des autres. Le vin coule, les chants résonnent. Puis le silence. Un discours. Un toast. Les bras se lèvent verre en main, dressés vers les jeunes mariés. Elle réapparaît/ Mon grand père ne semble pas s’en être aperçu. Il ne rebaisse pas sa manche. Je m’approche. Elle m’attire. Je ne vois plus qu’elle. Je suis à côté de lui, les yeux rivés sur cette suite de chiffre.
- Qu’est ce que c’est que ça papy?
Il semble sortir d’un rêve, retomber sur terre. Il baisse les yeux sur moi, son regard est flou, perdu. Il pose sa main sur la marque, semble la chercher, veut être sur qu’elle est toujours là, ne dit rien. Il me regarde fixement. Me prend dans ses bras, et me murmure à l’oreille qu’un jour il m’expliquera, mas pas aujourd’hui, pas maintenant, ce l’est pas le moment.

J’avais quatorze ans. Un professeur nous racontait la guerre, la résistance, les alliés, les batailles, les grand noms, l’Histoire. Il nous montre les images d’outre tombe. Ces fantômes sortant de la nuit, pas tout à fait mort, à peine vivant. Un cauchemar, une vision d’apocalypse. Je baisse les yeux. Je ne peux le supporter. Je viens de la voir. Pas vraiment la même, et pourtant si peu différente.

J’avais dix huit ans. Une belle journée d’été. Mon grand père vient d’avoir une attaque. Il est sur son lit d’hôpital. Incapable de bouger. Incapable de parler. son regard triste cherche le mien. Il a déjà vu la mort en face, pourtant il a peur. Je le sais. Je le vois dans ses yeux. L’aiguille du goutte à goutte est plantée juste au dessus de la marque, ce tatouage terrible. Je pose ma main par dessus, pour la cacher. Il pleure.

J’avais vingt et un ans. Après trois ans passé dans un fauteuil roulant, assisté, protégé comme un enfant, mon grand père vient de mourir. En silence dans son lit, dans son sommeil. La famille est réunit autour de lui une dernière fois. Mon père cache mal son chagrin, ses mains tremblent, elle serrent un petit bout d’étoffe jaune. Sans retenue il pleure, peu lui importe le regard es autres sur lui.

J’avais vingt quatre ans. Nous sommes des milliers à défiler. Il était encore fécond le ventre d’où est sorti la bête immonde. Elles reviennent les chemises brunes, cette peste. Les hommes ont la mémoire courte. Nous défilons en rang serré contre les fascistes qui resurgissent chez nous, et partout ailleurs. Je porte une pancarte, une simple photo au dessus d’un numéro. Mon héritage.

J’avais quarante trois ans. Mon père vient de mourir à son tour. Un cancer. Il m’a laissé une longue lettre. La lettre que lui avait remis son père après sa première attaque. Elle raconte toute son histoire. La rafle, le camp, la lutte quotidienne pour survivre, l’horreur, la peur qui le tenait encore bien après la libération, les cauchemars, les visions, les visages qui revenaient parfois, son incapacité à parler, à raconter, même à son fils. Il y a des traces de larmes sur le papier jauni par le temps. Les siennes, celles de mon père. Et maintenant les miennes.

J’ai soixante ans. L’age qu’il avait quand j’ai vu pour la première fois cette marque; Je sais maintenant toute l’histoire de ces chiffres. Je suis là où ils sont rentrés dans sa peau, dans sa chair. Je marche dans les allées du camp. Je le vois parmi les autres fantômes en noir et blanc de ces images d’archives. C’est une belle journée d’été. Le soleil brille. Je n’aurais jamais cru qu’il puisse faire un aussi beau temps en pareil endroit. Pourtant j’ai froid, je n’ai jamais eu aussi froid. Pour la première fois depuis longtemps je pleure. Comme un gamin. Un gamin de cinq ans.